• Épisode 8
Vrai ou faux ?
  • Le numérique fait-il baisser le niveau des élèves ?

    Avec Corentin Gonthier, Professeur des universités en psychologie du développement à l’université de Nantes, et membre de l’Institut Universitaire de France.

    Fiche réalisée en partenariat avec Louis Derrac.

    DÉMYSTIFIER L’IDÉE REÇUE

    Définir le numérique et les écrans
    Pour notre expert, il faut commencer par rappeler qu’il n’y a rien de spécifique aux écrans en tant qu’objet qui soit délétère pour l’enfant. Il n’y a rien dans la technologie en elle-même qui soit dangereux. Il faut donc distinguer complètement le média dont on est en train de parler et le contenu qui est présenté dessus. Ce n’est pas la même chose du tout de parler d’écran quand on est sur un jeu vidéo par exemple, ou quand on parle de la télévision.
    Ce n’est pas du tout la même chose non plus de parler d’une émission télévisée qui pourrait être un documentaire ou une émission pour enfants, par exemple, que de parler d’une comédie pour adultes ou d’un dessin animé. Le type de contenu va avoir des effets différents, forcément, sur la personne qui le regarde et inversement, la personne qui regarde influe évidemment sur le choix du contenu. Les interactions entre la personne et l’écran, la façon dont on appréhende ce qui est présenté à l’écran sont complètement différentes selon qu’on est en train de regarder un documentaire ou une émission télévisée ou en train de jouer un jeu vidéo.
    Dans les travaux de recherche, chaque technologie numérique est étudiée de façon différenciée. Mais le terme d’écran n’est jamais employé, et même les études qui parlent de « la télévision » sont elles mêmes considérées comme relativement peu fiables parce que, justement, il est important de les distinguer par type de contenu regardé. Le concept d’« écran » n’a donc pas vraiment de sens en tant que tel pour les chercheurs.

    Définir l’intelligence
    L’intelligence est un concept qui est très vaste. Il y a plusieurs types de tâches qu’on utilise pour mesurer l’intelligence et qu’on considère de façon peu différenciée. L’intelligence, d’une manière générale, c’est l’aptitude à résoudre des problèmes, en particulier des problèmes complexes.
    On peut distinguer deux principaux aspects de l’intelligence :

    • l’intelligence fluide (la capacité à résoudre des problèmes nouveaux sur des choses plutôt abstraites, ce que les tests d’intelligence testent en général) ;
    • l’intelligence cristallisée (la quantité de connaissances qu’on a réussi à engranger et notre aptitude à résoudre des problèmes en utilisant ces connaissances).

     

    Aucune baisse d’intelligence en France

    Il n’y a pas de baisse de l’intelligence en France. Sur le plan des aptitudes cognitives (le fonctionnement du cerveau), des performances des personnes dans les tâches d’intelligence, il n’y a aucune évolution en moyenne en France aujourd’hui, ni positive ni négative. Globalement, le niveau d’intelligence moyen est stable depuis plusieurs générations, plusieurs décennies.

    Pendant la plus grande partie du XXe siècle, les performances d’intelligence moyenne avaient tendance à augmenter de génération en génération. C’est ce qu’on appelle l’effet Flynn1. Si l’intelligence a beaucoup augmenté pendant le XXe siècle, c’est parce que les conditions environnementales et les conditions de vie se sont améliorées, notamment grâce à la massification de l’éducation et à l’accès à une meilleure alimentation. Ce n’est pas un effet génétique, mais environnemental.

    De la même façon, si cet effet d’augmentation de l’intelligence s’est ralenti, voire interrompu, c’est parce que les conditions environnementales ont arrêté de s’améliorer, comme elles l’ont fait pendant la plus grande partie du XXe siècle. C’est du moins le cas dans les pays les plus développés ; l’effet Flynn joue toujours à plein dans les pays en voie de développement.

     

    Le niveau de l’intelligence ne détermine pas le niveau scolaire.

    Il faut différencier l’évolution de l’intelligence (qui donc ne décline pas), et celle du niveau scolaire, qui est en fait un tout autre enjeu. Concernant la place de la France dans les enquêtes PISA par exemple : si une baisse se confirme dans certaines disciplines (du niveau de mathématiques, de la compréhension de l'écrit), on a la certitude que ce n’est pas dû à une baisse du niveau d’aptitude cognitive des élèves. Autrement dit, si le niveau des élèves se dégrade, ce n’est pas parce que les élèves sont de moins en moins intelligents. En tout cas, ils ont de meilleures performances intellectuelles que les élèves d’il y a 90 ans par exemple.


    Pourquoi de telles craintes sur le déclin de l’intelligence ?

    Le déclin de l’intelligence est un sujet qui a été très médiatisé. On peut mentionner le film Demain tous crétins, diffusé en 2017 sur Arte, et qui a bénéficié d’un large public. Il y a également eu plusieurs livres à succès sur ce sujet. Il y a effectivement une seule et unique recherche qui a dit que l’intelligence baissait en France, donc ces craintes sont parties de là. Cette recherche portait sur un échantillon très faible de personnes, d’une part, et présentait une baisse de score uniquement sur d’anciens tests d’intelligence cristallisée, pas sur les tests d’intelligence fluide. Cette baisse de score s’expliquait donc simplement par des évolutions sociétales qui font bouger les connaissances, et auraient nécessité des tests d’intelligence actualisés.

    Pour Corentin Gonthier, il peut aussi y avoir un agenda politique, avec une crainte susceptible de devenir une panique morale : « si l’intelligence s’effondre, c’est horrible. Il faut faire quelque chose, tout de suite, et trouver des coupables. »  Pour certains les coupables sont à chercher du coté de l'immigration, pour d'autres du côté des réformes de l'orthographe, d’où l’importance pour notre auteur de rappeler qu’il n’y a aucun déclin de l’intelligence et qu’il s’agit bien d’un consensus scientifique.

  • AUTRES INFORMATIONS CLÉS


    Les effets des technologies numériques sur l’intelligence

    Selon notre expert, les craintes sur les effets du numérique sur l’intelligence participent d’un mouvement global de diabolisation des nouvelles technologies. L’histoire de ces paniques morales liées à de nouvelles technologies permet de multiplier des exemples précédents.
    Par exemple, il y a eu une panique morale sur le train avec l’idée que les gens allaient tomber très malades à cause du déplacement, trop rapide. Que les images qui défilent sur nos rétines allaient abîmer les yeux, ou encore que le changement rapide de climat, en passant d’une région à une autre, allait abîmer les poumons. Autre exemple, beaucoup d’intellectuels étaient terrifiés par l’écriture SMS en disant qu’à force de l’utiliser, les jeunes ne sauraient plus parler français correctement. Des études ont depuis été menées à grande échelle sur cette question et montrent que les jeunes qui écrivent en langage SMS sont en moyenne un peu meilleurs en orthographe que les autres. En effet, cela demande de réfléchir à la phonétique de façon assez fine, ce qui rend ses utilisateurs plus conscients des assemblages de phonèmes dans les mots.

     

    La télévision : aucun impact significatif sur l’intelligence

    La télévision a très peu d’impact sur les fonctions intellectuelles supérieures. Globalement, sur l’intelligence, aucun ou quasiment aucun impact. Sur l’attention, pratiquement rien non plus. Il n’y a aucune étude qui montre un impact massif de la télévision sur la performance cognitive, ou sur quelque activité cognitive que ce soit. Il y a des petits effets bénéfiques, en particulier pour les programmes éducatifs. C’est d’autant plus vrai que la télévision est étayée par les parents ou regardée avec eux.
    Les enfants, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ont tendance à être assez actifs devant la télévision (voir nos ressources « Idées reçues N°2 »). Ce n’est pas quelque chose d’hypnotique, devant laquelle l’enfant reste assis avec son cerveau éteint pendant toute la durée du visionnage. Les enfants ont tendance à sélectionner les contenus qu’ils ont envie de voir et quand ils le regardent, ils font des hypothèses, essayent d’anticiper ce qui va se passer, de décider qui est le gentil ou le méchant. Ils se posent des questions sur les situations en cours, sur ce que signifient des mots de vocabulaire qu’ils ne connaissent pas. Évidemment, tout dépend là encore du type de programme, et de l’âge de l’enfant. Il faut des contenus adaptés à l’âge de l’enfant.

     

    Les jeux vidéo : des effets microscopiques mais positifs

    Sur le plan cognitif, les seuls effets vraiment avérés des jeux vidéo sont positifs, c’est-à-dire que le fait de jouer à des jeux vidéo a tendance à plutôt développer les compétences attentionnelles, à développer le fait d’arriver à bien se repérer dans l’espace. Les effets sur l’intelligence en elle-même sont toutefois vraiment négligeables.
    En moyenne, il n’y a rien qui suggère que le fait de jouer à des jeux vidéo fasse baisser l’intelligence ou l’attention. C’est même plutôt l’inverse (voir la fiche de la Mallette de la Coéducation au et par le numérique à ce sujet). On parle d’activités ou de loisirs qui rendent assez actifs, même si là encore, tout dépend du jeu vidéo.


    Les réseaux sociaux : pas d’études à ce jour

    Des études sur les réseaux sociaux et l’intelligence, la mémoire, la concentration, les aptitudes cognitives en général, n’existent pas encore. Pour notre expert, les réseaux sociaux sont un vecteur de socialisation comme un autre. Après, si c’est vrai des réseaux sociaux comme ça l’est des autres outils numériques, on a évoqué l’impact soit positif soit négatif selon l’usage qu’on en fait (voir nos ressources « Idées reçues N°4 »). Cela renvoie encore à la question du type de contenus. Un jeune qui est producteur de contenus sur TikTok et qui passe des heures à réfléchir à ce qu’il va raconter, à faire un plan du discours qu’il va présenter, à mettre en scène l’environnement dans lequel il va le présenter, c’est un jeune qui est actif dans une démarche qui le met en jeu. Intellectuellement, c’est plutôt positif selon Corentin Gonthier. En revanche, un jeune qui passe des heures à faire du doom-scrolling et à regarder des contenus négatifs, évidemment, peut s’attendre à un impact négatif sur sa santé mentale.

  • LES GRANDS CONSEILS DE L’EXPERT

         1. Pas de panique au sujet des écrans, qui n’ont pas d’effet négatif en tant que tel : il n’est pas nécessaire de manifester une inquiétude constante et d’avoir une attitude anxiogène pour les jeunes.

         2. Faire attention aux contenus diffusés pour qu’ils soient adaptés aux enfants (leur âge, leur niveau linguistique, leur sensibilité, etc.) : pas d’écran avec un contenu que l’enfant n’est pas capable de comprendre et qui va juste lui occuper les yeux, sans mettre en jeu son activité intellectuelle.

         3. Reconnaître qu’il y a plusieurs types de supports numériques qui peuvent avoir un effet bénéfique: ceux qui présentent un contenu éducatif, mais aussi ceux qui permettent la création de lien social avec d’autres jeunes, la présentation d’un message positif, l’ouverture d’esprit sur le monde...

         4. Toujours varier les activités et les supports : il est préférable de confronter le jeune à différents supports numériques, ainsi qu’à des activités non numériques.

         5. Rendre l’enfant acteur autant que possible : soit en privilégiant des supports numériques interactifs, soit en s’intéressant aux usages et pratiques des jeunes (discuter, expliquer, questionner, faire du lien, mettre en perspective les contenus).

         6. Rester vigilant quant aux conséquences négatives indirectes qui pourraient découler des activités sur écran : effets sur la santé physique (obésité en encourageant la sédentarité, manque de sommeil avec des activités tardives), effets sur la santé mentale (harcèlement sur les réseaux sociaux...).

  • CAPSULE DE LA CONFÉRENCE DU 01/02/23

    Retrouvez un condensé de l’intervention de Corentin Gonthier sur l’idée reçue : « Le numérique fait baisser le niveau des élèves ! ».
    Enregistrement de 9 minutes.

  • OÙ TROUVER LE REPLAY ?

  • EN PRATIQUE : RÉALISER UN TEMPS DE RENCONTRE À PARTIR DE CETTE CONFERENCE

    • Public : parents, professionnels de l’Éducation nationale, autres partenaires de la communauté éducative ;
    • Temps de préparation : 1 heure ; Temps de rencontre : 1 heure ;
    • Nombre de participants : 20 maximum pour favoriser les échanges

    Proposition de déroulé du temps de rencontre :

  • VOCABULAIRE À RETENIR

    • L’effet Flynn : désigne l’accroissement des scores aux tests calculant un quotient intellectuel. Cet effet a été constaté à la suite de l’observation comparée de populations données, sur plusieurs générations. Cet effet tire son nom du chercheur James R. Flynn, qui en fit l’observation. (Source Wikipedia)
       
    • PISA : le programme international pour le suivi des acquis des élèves, est la plus grande étude internationale auprès d’élèves dans le domaine de l’éducation. Pilotée par l’OCDE, PISA mesure l’efficacité des systèmes éducatifs. L’objectif est de comparer les performances des élèves issus de différents environnements d’apprentissage pour comprendre ce qui les prépare le mieux à leur vie d’adulte. (Source Education.gouv.fr).
       
    • Doom-scrolling : Dérivé du verbe anglais « to scroll », « faire défiler », ce mot désigne la consultation compulsive d’informations anxiogènes, un comportement né de la rencontre entre la curiosité humaine et les produits des plates-formes numériques. (Source Le Monde)
  • Télécharger la fiche en PDF

  • Ressources pour aller plus loin

    • L’exposition aux écrans est-elle dangereuse pour le cerveau ?» (SDC 2021 - S. Erhel & C. Gonthier)

    • ÉDUC’ÉCRANS 2022 : Écrans, attention et éducation aujourd’hui, une série de conférences et ateliers proposés par l’atelier Canopé de Strasbourg

    • Sommes-nous vraiment en train de fabriquer des “crétins digitaux» ? France Inter, Novembre 2020

    • The social dilemma (Derrière nos écrans de fumée), Netflix, Août 2020

    • Dopamine, une série Arte pour comprendre les effets du numérique sur le cerveau.

    • No negative Flynn effect in France: Why variations of intelligence should not be assessed using tests based on cultural knowledge (Corentin Gonthier, Jacques Grégoire, Maud Besançon, 2021)

Retrouvez les autres ressources

Accessibilité