• Épisode 10
Vrai ou faux ?
  • Le cyberharcèlement, c’est la faute des réseaux sociaux ?

    Avec Jocelyn Lachance, Maître de conférences HDR en sociologie, à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour Laboratoire TREE.

    Fiche réalisée en partenariat avec Louis Derrac.

    DÉMYSTIFIER L’IDÉE REÇUE

    Trois dimensions pour définir le harcèlement, une notion encore floue
    Pour définir le harcèlement (1), notre expert estime qu’il faut compter au moins sur trois dimensions : d’abord, un acte malveillant dans le but de nuire, une intentionnalité de la part de l’auteur. Ensuite, il y a une répétition de l’acte, et avec les réseaux sociaux, une continuité de l’acte (il peut se dérouler à n’importe quel moment de la journée, y compris quand la victime est chez elle). Et enfin, il y a un impact psychologique visible au travers de signaux faibles et forts auprès des victimes de harcèlement.
    Pour Jocelyn Lachance, qui se base sur une grande enquête quantitative réalisée auprès de 7 000 collégiens et lycéens au Pays Basque (source), il reste un sujet de définition autour du harcèlement, que beaucoup de jeunes (et moins jeunes) ne savent pas précisément délimiter. D’où l’importance, pour notre expert, d’élargir le spectre à l’ensemble des violences (2), pour ne pas laisser passer d’autres formes de violences, qui ne seraient pas identifiées comme du harcèlement par les auteurs ou leurs victimes.

    Cyberharcèlement ou harcèlement tout court ?
    Lorsqu’on parle de cyberharcèlement (3), un risque est de cantonner le harcèlement aux réseaux sociaux et d’en faire en fait un phénomène qui ne serait qu’exclusivement lié à l’usage des réseaux sociaux. Cette confusion est aujourd’hui fréquente chez beaucoup de professionnels et de parents. Or le harcèlement dépasse bien sûr la sphère des réseaux sociaux : il peut se dérouler dans tous les espaces publics et privés.
    Il y a une connivence entre ce qui se passe sur les réseaux sociaux et dans les espaces physiques. Selon notre expert, comme pour beaucoup de phénomènes liés aux réseaux sociaux, il y a une continuité dans les espaces physiques. Avec les réseaux sociaux numériques, le harcèlement devient, d’une certaine manière, hybride.

    Pour Jocelyn Lachance, il vaut mieux parler d’un « harcèlement qui utilise les réseaux sociaux », et considérer deux réalités. La première, c’est que l’impact psychologique de ce harcèlement est encore plus fort que ce qu’on a pu voir dans des schémas classiques ou traditionnels de harcèlement. La deuxième réalité, c’est que ce harcèlement laisse des traces visibles, auxquelles les adultes peuvent avoir accès.
    Avec le « cyberharcèlement », on semble redécouvrir collectivement le harcèlement. Alors qu’au fond, la mise en visibilité par Internet et les réseaux sociaux permet surtout de reparler d’un phénomène, le harcèlement, qui a toujours été présent dans les sociétés. Ainsi, des études très documentées sont publiées dès les années 70, avec notamment le travail du psychologue Dan Olweus, grand spécialiste du sujet (source).

    Le harcèlement, une affaire de jeunes, d’école, et de réseaux sociaux ?
    D’après le site de l’Organisation internationale du travail, « plus d’une personne sur cinq (soit près de 23%) des personnes ayant un emploi ont subi de la violence ou du harcèlement au travail » (source). Des chiffres qui sont assez proches de ceux de l’association e-Enfance, pour qui « 20 % des 6/18 ans ont déjà été confrontés à une situation de cyberharcèlement ».
    Pour notre expert, il est très important de comprendre que le harcèlement n’est pas une affaire de jeunes, mais un phénomène sociétal qui dépasse à la fois les réseaux sociaux et les questions de générations. Et cela doit nous interpeller : quelle est l’origine de ces phénomènes de harcèlement ? Est-ce que ce sont les réseaux sociaux, ou des modèles de société ? Ce sont des questions complexes.
    Pour Jocelyn Lachance, on peut dire aujourd’hui avec prudence que les réseaux sociaux ne sont pas responsables du harcèlement, mais sont un facilitateur et une potentielle forme aggravante (par certaines de leurs caractéristiques : le caractère répété des violences par différents auteurs, la continuité de ces violences à tout moment de la journée, etc.). De la même manière, il est également important de ne pas délimiter le harcèlement à une spatio-temporalité scolaire (on parle de « harcèlement, ou de violence scolaire »), car bien sûr, lorsqu’il y a de la violence entre les jeunes, cette violence se passent là où ils se trouvent : à l’école (où ils passent une grande partie de leur temps), mais aussi hors de l’école, dans des lieux publics ou privés, dans les familles, etc.

  • AUTRES INFORMATIONS CLÉS

    L’expérimentation adolescente peut se transformer en harcèlement
    L’adolescence est le moment par excellence de l’expérimentation, passage obligé pour arriver à se positionner face à de multiples injonctions sociétales et parentales, et d’une certaine manière, pour devenir adulte. Les réseaux sociaux sont ainsi devenus « un formidable terrain d’expérimentation » pour les jeunes.
    Cela permet d’expérimenter des choses très positives autour de son identité (tester différentes versions de soi-même), mais aussi de tester certaines limites. Dans beaucoup de cas de harcèlement, les jeunes vont dire que « c’était pour rire », « c’était de l’humour », qu’ils ne « faisaient que plaisanter ». Et certains d’entre eux sont complètement honnêtes.
    Il est également important de dire qu’heureusement, il y a une forte autorégulation entre les jeunes, des limites qui se créent naturellement et qui sont ensuite respectées par l’immense majorité d’entre eux. Ce n’est donc pas un territoire de non-droit comme certains peuvent le dire, mais un territoire auto-régulé, avec ses zones grises et donc ces fameuses marges d’expérimentation.

    Les auteurs de violences, un angle mort de la lutte contre le harcèlement
    Pour Jocelyn Lachance, l’origine du harcèlement, c’est la souffrance des auteurs. Ce sont donc des jeunes qui sont mal dans leur peau et qui, pour différentes raisons de quête de reconnaissance, pour se sentir exister, vont rentrer dans des logiques de harcèlement.
    Il y a donc un gros travail à accomplir vis-à-vis de ces auteurs. S’il faut bien sûr aborder la question du harcèlement avec les victimes, et travailler sur le rôle des témoins, comment détecter et anticiper le risque auprès des auteurs potentiels ?
    Aujourd’hui, on se contente souvent de mesures de coercition, et donc d’un rappel de la loi (le harcèlement est un délit), d’un rappel à l’ordre en cas de premières manifestations de violence. Mais si l’origine du harcèlement, c’est la souffrance et le mal-être des auteurs, notre expert estime que ce sera peu efficace et donc insuffisant.

    Définir et reconnaître collectivement le harcèlement pour commencer à réparer
    On peut considérer qu’une situation de harcèlement se passe entre trois types de personnes (auteur, victime, témoin). Mais on peut aussi concevoir, comme Catherine Blaya et d’autres, le harcèlement comme quelque chose de systémique. Ce qui veut dire que toutes les personnes plus au moins proche de l’acte de harcèlement font partie à la fois du problème et de la solution.
    Comme on le voit dans les techniques de réparation, le harcèlement disparaît à partir du moment où tous les acteurs autour de l’acte de harcèlement, donc pas seulement auteurs et victimes directement concernés, mais aussi les témoins ou alliés, les enseignants, proviseurs, parents de la victime et de l’auteur, vont s’entendre sur une définition commune de ce qui s’est passé (voir à ce sujet la Mallette de la Coéducation au et par le numérique : fiche parent et fiche professionnel).

  • LES GRANDS CONSEILS DE L’EXPERT
       

         1. Dans les campagnes de sensibilisation, expliciter à la fois la définition des violences et du harcèlement, et aider les jeunes à comprendre les règles qu’on ne peut pas dépasser.

         2. Travailler très tôt les compétences psychosociales (dont l’empathie fait partie), car c’est l’une des meilleures préventions contre les phénomènes de violences.

         3 .Explorer et tenter de dépasser les contradictions de notre société, qui est parfois violente, avec des rapports entre adultes qui sont eux aussi parfois violents (y compris autour des enfants).

         4. Envisager le harcèlement comme un sujet sociétal qui n’est ni limité aux jeunes, ni aux réseaux sociaux, ni au cadre scolaire. C’est un phénomène hybride.

         5. Ne pas négliger le travail autour des auteurs de violence, et dépasser la menace coercitive pour comprendre le mal-être et la souffrance qui poussent à des actes de violence. Se faire aider de la communauté éducative au sens large (infirmières scolaires, psychologues, etc.)

  • CAPSULE DE LA CONFÉRENCE DU 05/04/23

    Retrouvez un condensé de l’intervention de Jocelyn Lachance sur l’idée reçue: « Le cyber harcèlement, c’est la faute des réseaux sociaux ! ».
    Enregistrement de 11 minutes.

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  • EN PRATIQUE : RÉALISER UN TEMPS DE RENCONTRE À PARTIR DE CETTE CONFERENCE

    • Public : parents, professionnels de l’Éducation nationale, autres partenaires de la communauté éducative ;
    • Temps de préparation : 1 heure ; Temps de rencontre : 1 heure ;
    • Nombre de participants : 20 maximum pour favoriser les échanges

    Proposition de déroulé du temps de rencontre :

  • VOCABULAIRE À RETENIR

    • (1) Harcèlement : Le harcèlement se définit comme une violence répétée qui peut être verbale, physique ou psychologique. Cette violence se retrouve aussi au sein de l’école : elle est le fait d’un ou de plusieurs élèves à l’encontre d’une victime qui ne peut se défendre. Lorsqu’un enfant ou un adolescent est insulté, menacé, battu, bousculé ou reçoit des messages injurieux à répétition, on parle donc de harcèlement. (source : Ministère de l’éducation nationale)
       
    • (2) Violences : Elles peuvent revêtir différentes formes : coups, bousculades, insultes, harcèlement, cyberviolences, vols, violences sexuelles, violences à caractère sexiste, discriminations racistes, antisémites ou homophobes, dommages aux locaux ou aux matériels, aux biens personnels, port d’armes, intrusions, etc. (source : Ministère de l’éducation nationale)
       
    • (3) Cyberharcèlement : Avec l’utilisation permanente des nouvelles technologies de communication (téléphones, réseaux sociaux numériques), le harcèlement entre élèves se poursuit en dehors de l’enceinte des établissements scolaires. On parle alors de cyber-harcèlement. (source : Ministère de l’éducation nationale)
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  • Ressources pour aller plus loin

    • « Cyberviolences : une responsabilité collective », interview de Justine Atlan, directrice de l’Association e-Enfance extrait de « La parentalité à l’ère du numérique », l’école des parents, hors-série N°4 /printemps 2023

    • L’ouvrage « La famille connectée » par Jocelyn Lachance (collection l’Ecole des parents chez érès)

    • pHARe : un programme de lutte contre le harcèlement à l’école

    • Agir pour combattre le harcèlement

    • Empathic : Un programme pour sensibiliser et éduquer vos élèves à l’empathie

    • Stop la violence ! est un jeu de sensibilisation au harcèlement au collège et au lycée.

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