• Épisode 6
Vrai ou faux ?
  • Les élèves ne s’informent-ils plus, ou pire, s’informent-ils mal ? 

    Avec Anne CORDIER, Professeure des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication, Co-Responsable du Master SIDOC - MEEF Documentation.

    Fiche réalisée en partenariat avec Louis Derrac.

    DÉMYSTIFIER L’IDÉE REÇUE

    Qu’est-ce que s’informer ?

    Notre experte commence par rappeler que lorsque l’on interroge les jeunes sur leurs pratiques d’information, on doit avoir en tête plusieurs pratiques différentes :

    • De type documentaire. C’est une information d’appétence, de plaisir, qui attire dès le plus jeune âge. On s’informe sur les stars, sur le football, sur des loisirs, mais aussi pour préparer son exposé pour l’école. Ces pratiques doivent être prises en compte et contribuent à l’enrichissement de l’enfant ;
    • De type actualité (politique, sportive, culturelle, nationale, internationale). Ces pratiques arrivent plus tard, plutôt à l’adolescence. Quand on se construit, c’est avec une information de proximité, une information affective qui fait du bien, ce qui n’est pas le cas avec l’information d’actualité. Il y a des distinctions fortes chez les jeunes entre l’actualité dite « sérieuse, grave » (politique, internationale) et leur actualité culturelle, locale.

    Les jeunes s’informent beaucoup, et font attention aux sources

    Selon une étude du Ministère de la Culture sur les comportements informationnels des jeunes :

    • 93 % des 15-34 ans déclarent s’intéresser à l’information, selon une intensité plus ou moins élevée ;
    • 71 % consultent quotidiennement l’actualité sur les réseaux sociaux qui sont le premier mode d’accès à l’information ;
    • 32 % passent uniquement par les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche afin d’accéder à des contenus d’informations en ligne.

    Malgré certaines études alarmistes très médiatisées (au détriment de beaucoup d’autres, moins sensationnalistes), Anne Cordier estime que les jeunes interrogés développent une vraie préoccupation autour de la fiabilité de l’information, de la manière d’accorder de la confiance à de l’information.
    Par ailleurs, pour elle, considérer qu’un adolescent qui doute est un adolescent complotiste est un énorme raccourci, dangereux et dommageable sur le plan éducatif.

    AUTRES INFORMATIONS CLÉS

    Les jeunes partagent autour de l’information

    Notre experte le rappelle : les pratiques informationnelles sont des pratiques sociales. On s’informe pour être en phase avec les autres, pour s’intégrer à plusieurs mondes sociaux. Pour les jeunes, tous les moyens sont bons pour partager et discuter autour de l’information.
    S’il y a une obsession de l’infomédiation* (voir vocabulaire) par les réseaux sociaux numériques, ce n’est pas le seul canal d’information des jeunes. Ils partagent beaucoup dans les espaces de sociabilité du quotidien: la cour, les espaces de loisir, la rue, les associations, sans oublier la famille. Ils sont nombreux à essayer ensemble de comprendre l’information à laquelle ils sont confrontés. Ils témoignent aussi de la difficulté qu’ils ont à se tenir à l’écart de l’information. Certains sujets sont anxiogènes, mais les mécanismes de partage d’informations entre jeunes rendent très difficile le fait de les éviter. Il y a une injonction à « être au courant ».
    Selon Anne Cordier, il y a une vraie question à se poser sur le fait que les jeunes ont du mal à aller interroger les adultes sur le contenu des informations qu’ils consultent, sans doute parce qu’ils sont trop souvent jugés, incompris, voire méprisés. Ils créent donc des espaces pour essayer eux-mêmes d’attribuer de la valeur à l’information.

    Les inégalités face aux pratiques informationnelles

    Sans verser dans un quelconque misérabilisme, victimisation, ou condescendance, notre experte rappelle que les pratiques informationnelles sont des pratiques culturelles. Tout comme la musique, le sport, la cuisine, ces pratiques sont marquées par des distinctions sociales, voire des rapports de domination.
    Chez les enfants et les adolescents, on voit très tôt se construire une distinction sociale dans le rapport aux pratiques d’information. Anne Cordier prend l’exemple d’une enquête menée en 2021 auprès de 100 élèves de 3ème et 1ère, de milieux sociaux et de territoires différenciés. L’étude a montré que les élèves de milieux sociaux favorisés avaient une vraie culture des sources* (voir vocabulaire), contrairement à leurs camarades de milieux sociaux populaires. Bien sûr, cela ne veut pas dire que ces derniers n’ont pas de culture, mais ils n’ont pas cette culture spécifique des sources.
    Il y a aussi dans les pratiques informationnelles de véritables inégalités entre filles et garçons. Les filles sont par exemple persuadées qu’elles ont plus de risques de se méprendre sur une fausse information que les garçons et plus de risques, pour leur image, à partager une fausse information. Il y a donc un sentiment de confiance et d’auto-efficacité chez les garçons qu’on ne retrouve pas chez les filles. C’est une preuve de plus que les pratiques informationnelles sont bien des pratiques culturelles.

    La culture des sources pour réduire les inégalités

    La culture scolaire, comme la culture de l’information, sont des cultures de la distinction (entre groupes sociaux). Il y a des sources qui, selon Anne Cordier, doivent être connues car considérées comme étant de « référence » pour la réussite académique : Le Monde, Astrapi, etc. Notre experte indique bien cependant que ces sources ne sont pas « meilleures », ni « plus dignes » que d’autres, moins considérées : Hugo décrypte ou Brut, par exemple.
    Dès le plus jeune âge, notre experte conseille de cartographier de façon claire les ressources informationnelles, afin de transmettre cette culture des sources très vite, très tôt, et de la travailler tout au long du cursus. Cela permettrait de limiter au maximum les effets d’inégalités sociales qui sont très forts. Il faut ainsi comprendre le fonctionnement de chaque source, être capable de les identifier, de comprendre la politique éditoriale, les intentions, le modèle économique, le public visé, etc. Tout cela constitue la culture des sources.

    Le rôle de l’éducation aux médias et à l’information

    Il faut d’abord rappeler que si l’éducation aux médias et à l’information* (EMI, voir vocabulaire) est un système politique mis en place au sein de l’Education nationale (voir la fiche outil « Comment développer l’esprit critique pour agir de manière éclairée ? »), on fait aussi de l’EMI en dehors de l’Éducation nationale, notamment au sein de multiples associations.
    Il y a pour notre experte des missions différentes en fonction du contexte éducatif. La culture des sources et de l’information est prioritairement à prendre en charge dans l’École, où se trouvent des spécialistes de cette question : les professeurs documentalistes.
    Pour Anne Cordier, il est important de comprendre qu’il ne suffit pas de produire de l’information (écrire un article ou faire de la webradio) pour acquérir de l’esprit critique ou de la réflexivité. C’est la limite du mythe où l’on « apprend en faisant » (répertorié par André Tricot – voir notre conférence n°3). Ces activités ne permettent pas non plus d’évaluer l’information ou de se poser les questions des intentions de la fabrication de l’information.
    D’où l’importance du médiateur, et en l’occurrence de l’enseignant. Dans les enquêtes réalisées auprès des jeunes, s’il y a une figure d’autorité en matière d’information qui est systématique, c’est bien celle d’un ou plusieurs enseignants. Les enfants et adolescents savent qu’ils peuvent se référer à leurs enseignants pour vérifier une information.

    Des rôles pour chacun dans la coéducation aux médias et à l’information

    Il faut aussi rassurer tout le monde sur son rôle. Ce n’est pas aux parents de transmettre une culture des sources à leurs enfants. C’est le rôle de l’Ecole de favoriser l’égalité en la matière et de concevoir des progressions d’apprentissages pour tous les élèves, tout au long de leur scolarité, autour de cette culture de l’information et des médias, avec des professionnels reconnus.
    Au sein de la famille, il y a une attitude à développer, car si l’on ne s’intéresse pas à ce que fait son enfant, voire qu’on le dédaigne (« ce n’est pas de l’info très sérieuse », « tu ne fais pas grand-chose d’intéressant sur ton smartphone »), on passe à côté d’une formidable opportunité de coéducation, et d’un moment de partage. D’où le conseil d’Anne Cordier de discuter de l’information avec ses enfants (voir la fiche-outil « Quelles règles de base pour accompagner les usages progressifs du numérique de mon enfant ? »), de témoigner de ses propres doutes de parents, ou de moment d’anxiété face à une actualité pesante. En réponse, cette ouverture permet aux enfants de plus facilement se livrer.

    Le rapport des jeunes à l’algorithmisation de l’information

    Depuis quelque temps, les jeunes abordent directement la notion des algorithmes* (voir vocabulaire) lors des entretiens que mène Anne Cordier. C’est un mouvement assez récent qui montre l’impact des politiques éducatives menées ces dernières années pour sensibiliser les jeunes à ces questions (voir la Mallette de la coéducation au et par le numérique parent et professionnel à ce sujet). Cependant, leur compréhension est encore limitée ou caricaturale.
    Les jeunes savent que les algorithmes existent, mais ils ont encore besoin d’en comprendre le mécanisme. Ils savent qu’ils sont tracés, mais ils ne comprennent pas encore comment les algorithmes utilisent ces traces pour projeter un profil d’information à travers la recommandation algorithmique. Ce travail de compréhension fait désormais partie des programmes scolaires.

    LES GRANDS CONSEILS DE L’EXPERTE

         1. Travailler dès le plus jeune âge la culture des sources, particulièrement à l’école ou au collège, où sont présents des professionnels de cette question : les professeurs documentalistes.

         2. Pour tous les éducateurs, créer des espaces de discussion autour des pratiques informationnelles des jeunes. S’intéresser à ce qui les intéresse, à leur canaux d’informations, dans un climat de respect et d’écoute. S’ouvrir également, notamment en tant que parent, sur ses propres doutes, voire sur ses anxiétés face à l’information.

         3. Arrêter de rentrer dans la culture de l’information par l’anxiété (la désinformation, l’actualité de guerre ou de crise environnementale). Il faut aussi parler du plaisir de s’informer, de découvrir, d’apprendre.

  • CAPSULE DE LA CONFÉRENCE DU 07/12/22

    Retrouvez un condensé de l’intervention d’Anne Cordier sur l’idée reçue : « Les élèves ne s’informent plus, ou pire, ils s’informent mal ! ».
    Enregistrement de 9 minutes.

  • Où trouver le replay ?

    Accédez à la rediffusion de la conférence avec Anne Cordier, (durée : 47 min) au format podcast en cliquant ici !

  • EN PRATIQUE : RÉALISER UN TEMPS DE RENCONTRE À PARTIR DE CETTE CONFERENCE

    • Public : parents, professionnels de l’Éducation nationale, autres partenaires de la communauté éducative ;
    • Temps de préparation : 1 heure ; Temps de rencontre : 1 heure ;
    • Nombre de participants : 20 maximum pour favoriser les échanges

    Proposition de déroulé du temps de rencontre :

  • VOCABULAIRE À RETENIR

    • Algorithme : Un algorithme est une suite finie et non ambiguë d’instructions et d’opérations permettant de résoudre une classe de problèmes. Dans le domaine du numérique au quotidien, les algorithmes traitent de grandes masses de données (les big data) pour réaliser des classements, sélectionner des informations et en déduire un profil, en général de consommation, qui est ensuite utilisé ou exploité commercialement. (Source Wikipédia)
    • Culture des sources : la culture des sources consiste à connaître des sources d’information, comprendre leur ligne éditoriale, leurs intentions, leur public cible, etc. Elle permet aussi de différencier des sources qui sont considérées comme étant de « référence » à celles de divertissement, ou encore « populaires ». Par exemple, dans l’Éducation nationale, des sources comme « Le Monde », « Astrapi », ou encore « l’INA » sont des sources de référence. Et des sources comme « Brut », ou « Hugo décrypte », ou Wikipédia, sont des sources plus « populaires ».
    • Éducation aux médias et à l’information : dans l’Éducation nationale, « l’éducation aux médias et à l’information permet de renforcer chez les élèves des compétences transversales indispensables pour se repérer dans un monde où les vecteurs d’information et de communication se multiplient. C’est à ce titre qu’elle s’inscrit à la fois du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, du parcours citoyen et du parcours d’éducation artistique et culturelle. » (Source : Eduscol)
    • Infomédiation : Intermédiation entre les producteurs d’information et les internautes (source Wiktionnaire). Les infomédiaires les plus utilisés sont Google Actualités et Facebook.
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  • Ressources pour aller plus loin

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